Robots primitifs
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- Catégorie : Science fiction
Robots primitifs
Visiteur de mondes en écrins, passant ce jour dévoilé aux surannés solaires, la Terre apparue et nous fîmes découvrir un ensemble de formes larvaires, épithéliales d’un ordre qui ne se nomme. Nous rapportons ici quelques bribes de leur déclin. Robots primitifs de ce nouvel âge désincarné, ils vont et viennent, vides de conscience, des écouteurs rivés aux oreilles pour s’abstraire du réel. Leurs visages blafards sont phasmes de villes qui les engloutissent, les vident de leur substance, de leur être, pour ne plus laisser à sa place que le paraître.
Parade ils se font de leurs atours, marquant d’anneaux et de chaînes leurs oreilles et leur cou et dans le détail des piercings toute face de leur anatomie, reniant en cela la vérité de leur corps qu’ils enchaînent, déjà, au dédale faramineux de la décadence qui suinte par toutes faces ce monde de verroterie. L’été leur est prouesse d’étalage de tatouages sans limites, reniant leur chair comme témoignage de leur servitude avancée au système qui les broie. Ils ne sont égarés contrairement à ce que l’on voudrait penser, ils sont de leur siècle en déclin, puérils à souhait, lobotomisés par une gangrène médiatique qu’ils dévorent dans une presse gratuite qui oriente leur soumission.
Leur langage se limite la plupart du temps à trois cents mots, qu’ils enrichissent par un vocabulaire né d’éructations, de colères, de dégoût d’eux-mêmes. Ils feignent de s’accroire dans le gouffre dans lequel ils végètent, mais se haïssant haïssent tout ce qui n’appartient pas à eux, engendrant ainsi une dépersonnalisation humaine qui se voit dans les micros sociétés que le collectif impose, telles celles des transports, où surgit leur, semble-t-il, droit à être.
Dans cette configuration ils en rajoutent, s’étalent, prennent de la place qu’ils ne laissent au vieillard ou bien à la femme enceinte. Ils font semblant de dormir, et se montrent dans leur réalité. Couchés sont-ils, soumis, n’ayant d’autre devenir que le besoin de s’approprier ce qu’ils ne pourront jamais approcher, sinon que dans des rêves éveillés, devant les cohortes, en groupes, afin de mieux se dissoudre dans le néant. Et l’on pourrait croire que ce constat l’est pour une génération, non, il l’est pour toutes les générations qui vivent les abîmes de leurs villes chiasseuses.
Il y a là d’autres écrins dans lesquelles se bercent les sempiternels échos en rupture du réel. D’abord la masse des rampants au regard triste, qui ne voient plus que le vide, le cil hagard, perdu dans l’ombre de son ombre et qui se tait, et qui se cache, et qui s’il pouvait ne plus être serait heureux. Ensuite les parvenus à un poste de travail, (car il y a pandémie de chômage par ce lieu, favorisé par les détenteurs dont le pouvoir est fonction de la nucléarisation des individus), qui s’illuminent de leur chance dans des discours frénétiques, moi je suis, les autres ne sont rien, qui apprivoisent avec délectation le regard morbide de ces autres, attendant un mouvement de jalousie pour s’accroire importance.
Et d’autres encore, façonnés par l’outrance qui sans un regard pour les autres s’essoufflent de leur mépris. Et d’autres toujours n’en pouvant plus de leur nouvelle condition, d’exogène devenant endogène de force et non de lois qui suent l’insolence et crachent sur tout ce qui fait un territoire vide de conscience qui noie sa population d’origine par des vagues sans avenir, afin de mieux la détruire pour mieux la dominer.
Et chaque jour qui passe ne s’espace de ces dichotomies qui exacerbent les remparts qui désormais se dressent entre ces foules, les unes humiliées, les autres assouvies, les dernières sauvages et fières, en délire d’un complexe de supériorité qui masque un complexe d’infériorité. La haine transparaît sous ces carapaces équivoques, vautrées dans l’imperméabilité des sens, et la destruction couve. Elle est désœuvrée par le clinquant des bagagistes qui dirigent vers l’agonie ces foules qui ne sont plus des peuples mais des esclaves nés.
Qui cherchent une voie pour survivre au milieu de leur empire de destruction qui se couronne sur leur masse pouilleuse et puante d’asservissement, cette masse informe et gluante glorifiant l’immondice qui va de reptation en reptation jusqu’à sa destruction acclamée, qui sous la modélisation de la culpabilisation, qui sous la modélisation de la possession, qui sous la domination de la cécité qui brille de tous ses feux.
Nous pouvons toutefois rassurer nos mandants, car dans ce lieu, la nature a horreur du vide et elle se débarrassera inévitablement des scories qui l’embrasent afin de reverdir toujours, imperturbablement à la Vie, la Vie en ses couleurs, la Vie en ses parfums, la Vie magnifique de champs de floralies qui reviendront après la boue, la dénaturation de la boue, ce lavement excrémentiel qui se tortille avec délectation dans ces égouts où le non-humain, ignorant, complice, se complaît avec délectation.
En attendant, nous resterons observateurs de cette chute vers l’abîme de cette civilisation de la mort qui va disparaître afin de naître de nouvelles civilisations bâties pour la Vie, et bien entendu nous vous rendrons compte de cet heureux événement…
© Vincent Thierry