Cette maison en pierre si
belle jadis, était maintenant un vrai délabrement. Les volets tenaient à peine,
une fenêtre au premier était cassée, et l’on pouvait voir depuis le jardin un
trou dans le toit. Les ronces envahissaient tout, même le puits en pierre.
Cette bâtisse, si bien
située, sur cette colline d’où l’on pouvait voir la plaine, et plus loin la
forêt des landes en faisait rêver plus d’un. Mais hélas sur la brochure de
l’agence, était marqué en rouge « invendable » Pourquoi ?
Rose la connaissait bien,
cette maison, elle venait souvent petite en vacances chez sa grand-mère, qui
habitait un peu plus bas. Que n’avait-elle vu passer de locataires, mais ils
partaient aussitôt. A cette époque, elle n’y faisait pas attention, mais à
présent cela l’intriguait. Ce matin là, elle résolut d’aller y jeter un coup
d’œil. Elle se munit de ses bottes, d’un bâton et, suivie de Roméo la voilà
partie. Dans son sac à dos elle y avait ajouté en plus d’une torche et d’un sac
de couchage, un sandwich et une bouteille d’eau. Tant pis si Etienne passait,
il ne trouverait personne. La fraîcheur de ce mois de mai était agréable. Les
coquelicots au bord du chemin courbaient la tête, comme pour la saluer, tandis
que le coucou chantait au loin. Rose, avait déjà son cœur qui palpitait au
creux de sa poitrine. En cette matinée de printemps, elle repensait aux
évènements qui avaient précédé cette journée. Appelée de Paris d’urgence, elle
avait appris la mort de sa grand-mère, « accidentelle », lui avait-on
dit. Elle avait glissé dans l’escalier. Sa grand-mère ne voulait partir de cet
endroit sous aucun prétexte. Etant sa seule héritière, elle respecta ses
volontés et refusa l’autopsie. Sa grand-mère avait des idées bien
arrêtées : il ne fallait pas toucher au corps. Petite femme toujours gaie,
elle jouissait de sa retraite paisiblement entourée de quelques poules et d’un
jardin.
Le soleil commençait à
chauffer à mesure qu’elle montait la colline. Peut-être aurait-elle dû emmener
Etienne. Elle verrait plus tard, la prochaine fois ! Il lui était si
fidèle ! Chaque fois qu’elle venait au pays il était là. C’était un bon
voisin, serviable et discret. Le jour où l’électricité avait manqué pendant une
semaine à cause de la tempête, il était arrivé avec une lampe à carbure en
demandant si sa Grand-mère et elle n’avaient besoin de rien.
Après la trépidante
atmosphère de Paris, se retrouver dans le calme apaisait Rose éprouvée par la
perte de Monette, sa grand-mère. Tout le monde l’appelait ainsi et elle était
connue des alentours. Jeune, elle allait travailler à la journée dans les
fermes. Une larme soudain coula sur la joue fraîche de Rose. Il ne fallait pas
s’apitoyer. Avancer, c’était ce que lui avait appris Monette. Elle devait aller
chez le notaire le lendemain, aussi avait-elle pris quelques jours de congés.
Elle était maintenant
devant la maison hantée. Elle fit le signe de la croix, et s’avança. Roméo
s’élança à la suite d’un lièvre ou d’un lapin que Rose n’eut pas le temps de
voir, car il s’engouffra dans un buisson. Le chemin était tout de même
praticable. Devant la grande porte, elle hésita. Celle-ci n’était même pas
fermée. Elle poussa le grand battant et la porte s’ouvrit. Un grand vestibule
empli de toiles d’araignées et de saletés, s’étirait devant Rose. De vieux
meubles moisis étaient adossés au mur. Quelques cadres de personnages inconnus
semblaient sourire à Rose. Roméo reniflait et avançait avec sa queue collée à
l’entrejambe. Rose retenait sa respiration. A droite, se trouvait la cuisine où
trônait une grande cheminée. Au beau milieu, une immense table vermoulue
affublée de quelques chaises. Les casseroles en cuivre ornaient le mur
au-dessus de l’évier en pierre. Mais pourquoi ne les avait-on pas
emportées ? La fraîcheur fit frissonner Rose. Sous l’évier les souris,
sans aucun doute, s’en donnaient à cœur joie ! Face à la cuisine une
immense salle à manger parsemée de détritus en tout genre : papier,
cartons à demi-ouverts. Des piles de vaisselle sale attendaient sur le sol
d’hypothétiques propriétaires des lieux.
Rose ouvrit la deuxième
porte à droite et quelle ne fut pas sa stupeur de reconnaître sur le mur un
portrait ressemblant comme deux gouttes d’eau à sa grand-mère ! A l’age où
celle-ci avait vingt ans ! Quel était ce mystère ? Qu’avait-t-elle à
voir avec cette ancienne famille ? Elle alluma sa torche, et avança pour
ouvrir la fenêtre et les volets. Le jour illumina la pièce, elle se trouvait
dans un bureau où des livres d’un autre âge garnissaient les étagères adossées
aux murs. Elle découvrit à la lumière du jour des fauteuils style Louis
Philippe rongés par les souris près d’un bureau de style inconnu, sans doute
Napoléon. Ce qui la surprit au premier abord, ce fut la propreté de la pièce,
comme si quelqu'un venait là.
- « Y a t il
quelqu’un, cria-t-elle ? » Le chien près d’elle aboya. Tout à coup,
elle entendit au premier un tintamarre assourdissant. Quelqu’un habitait-il
ici ? Nulle réponse, aussi, décida-t-elle de sortir de la maison pour
respirer un peu. Le soleil l’éblouit et après quelques respirations
approfondies, elle s’assit sur le perron pour manger son sandwich. Le silence
était tel qu’il semblait palpable. Roméo avec sa langue pantelante faisait
tomber des gouttes de salive sur le sol. Vraiment cela avait dû être une belle
demeure, Rose admirait le bel escalier en pierre tout en mangeant son pain. Les
oreilles droites et le regard tourné vers sa maîtresse, il était vraiment beau
ce chien loup. Qu’allait-elle en faire, maintenant que Monette n’était plus
là ?
Elle réfléchissait,
peut-être était-ce un chat là haut tout à l’heure. Un chat sauvage qui aurait
pris possession de l’endroit. Ignorant la tension ambiante, un papillon jaune
virevoltait autour de Rose. Elle but un peu d’eau et, remise de ses émotions,
elle décida de reprendre son périple. Elle monta le grand escalier éclairé par
un œil de bœuf, et tout la haut, le jour descendait par une brèche du toit dans
la première pièce dont la porte était ouverte. Ce n’était qu’une grande chambre
ordinaire, suivie par cinq autres d’un luxe vieillot. Le désordre et la
poussière étaient maîtres des lieux. Des meubles poussiéreux, des lits
endommagés et des bibelots à terre témoignaient de l’abandon de la maison.
Soudain, un vent venu d’on ne sait où, traversa la pièce où se tenait Rose et
s’engouffra par le trou du toit après avoir siffler dans le couloir. Pourtant
le temps restait calme et le soleil brillait.
- « Ce n’est qu’un
courant d’air », se persuada-t-elle. Le chien se mit à gémir, se frottant
contre sa maîtresse. Avançant un peu plus Rose vit qu’une porte avait été
sacrifiée, empierrée. L’endroit était plus sombre, sa torche ne voulant pas
s’allumer, elle décida de rebrousser chemin. Soudain une forme lumineuse la
devança avec des plaintes d’outre tombe.
- Un revenant !
« Mais, que me veut-elle ? Ou que me veut-il ? » Rose
tremblait de tous ses membres et Roméo descendit à vive allure. Avançant un
peu, la forme s’estompa, mais ce qui s’ensuivit laissa Rose perplexe. Des
tuiles tombèrent du toit d’un seul bloc devant Rose comme pour la persuader de
rester. Elle s’enfuit en sueur l’ayant échappé belle. Elle qui avait décidé de
dormir dans la maison avec son sac de couchage ! Balivernes ! Elle
était aussi peureuse que tout ce monde qui croyait aux revenants. « - Que
peuvent-ils nous faire ? Pas grand chose» pensa-t- elle. Lorsque sa
grand-mère reposait dans son lit, morte, elle imaginait son âme errant dans le
ciel. Son corps était resté là comme un serpent qui abandonne sa peau. Son
visage restait souriant et paisible, comme sa fin de vie l’avait été. Pourtant,
la pauvre avait perdu son fils unique dans un accident de voiture. Rose se
souvenait à peine de ses parents, elle n’avait que cinq ans, et Monette lui
avait donné tout son amour. Elle redescendit la colline perplexe, quelle
aventure !
Ses jambes tremblaient et
elle n’arrivait pas à respirer correctement. Elle s’assit à l’ombre d’un petit
chêne, au bord de la route goudronnée. Elle regarda sa montre, celle ci était
arrêtée. Quelle heure était-il ? Elle se trouvait hors du temps.
Se pourrait-il que le temps
n’existe pas pour certains ? Que le passé et le présent se
mélangent ? Reverrait-elle ses parents ? Et aussi sa
grand-mère ? Si les fantômes existaient, la vie après la mort aussi, cela
était logique. Elle en était là dans ses réflexions, quand, Etienne dans sa
nouvelle voiture, s’arrêta.
- ‘Hé ! Que
fais-tu ? Comme tu es Pâle !’ Elle se réjouit de voir son ami, si
logique lui !
- ‘Ho ! Je suis allée
jusque là haut,’
- Quoi ? Dans la
maison hantée ?
- Je ne savais pas quoi
faire et je voulais me dégourdir les jambes.
- Qu’as-tu vu ?
- Rien, répondit-elle, rien
qui puisse t’intéresser, tu ne crois pas aux fantômes.
Il s’assit à coté d’elle,
dans l’herbe couchée et Roméo vint lui lécher le visage.
- oh ! Va-t-en, lui
lança-t-il un peu agacé, puis il reprit :
- Que vas-tu faire
maintenant ?
- Peut-être vais-je vendre
la maison de ma grand-mère, mais j’ai tant de souvenirs ! Et une larme
coula doucement sur sa joue.
- Je lui avais dit de
mettre un lit en bas ! A son âge, monter les escaliers ! Elle n’en
faisait qu’à sa tête ! Pauvre Monette ! Comme elle était heureuse !
Dès que j’arrivais ! Ses yeux s’illuminaient, elle me serrait fort dans
ses bras ! Continua Rose.
- Ne pleure pas, lui dit
Etienne, tu ne l’as jamais lâchée.
- Oui ! C’est vrai,
lorsque les copines de bureau partaient à l’étranger, je préférais rester avec
Monette. Elle était si gaie, et comme elle savait mijoter de bons petits plats !
Le lendemain Rose se rendit
chez le Notaire. Celui-ci avait des bacchantes grises et un petit nez tout
rouge. Il commença sa lecture et Rose pensait :- Je ne pourrai pas garder
la maison de ma grand-mère. Avec tous les frais je vais devoir la vendre,
dommage !
- Mademoiselle Rose Evrard,
essayez-vous ! Vous héritez de la petite maison de votre Grand-mère au
lieu dit ‘Barbot’ et aussi du domaine ‘La Grande Hothe’ dit ‘la
maison hantée,’
- Ai-je bien entendu ?
S’exclama Rose.
- Cette demeure appartenait
à votre Grand-mère et elle vous a fait un testament que voici, vous léguant
tous ses biens.
Rose n’en revenait pas,
décidément elle allait de surprises en surprises. Elle éclaircirait tout cela.
Elle devait revenir chez le notaire dans deux jours, et elle irait au village
interroger les commères. Elle resta stupéfaite.
Dés le lendemain, elle s’en
fut voir une vieille fille qui avait la langue bien fourchue. Celle-ci habitait
seule, et avec ses quelques vaches, elle approvisionnait tout le village en
lait.
- Aurais-tu deux litres de
lait à me vendre ? lui demanda Rose.
- Même trois si tu veux,
lui répondit Gilberte.
Elle était forte et sentait
le lait caillé. En s’essuyant les mains dans son tablier, elle lui prit le
petit bidon des mains, enleva la passoire sur le gros bidon et soulevant
celui-ci elle versa dans le petit en disant :
- Pauvre Monette ! Que
Dieu ait son âme ! Une femme si gentille !
Le lait encore chaud,
brillait au soleil. Une mèche de cheveux bruns glissa de son front luisant et
vint sur son nez, elle la chassa croyant que c’était une mouche en soufflant.
Elle devait avoir près de
soixante ans pourtant elle gardait l’œil vif et la peau fraîche.
- Dis donc Gilberte,
connais-tu par hasard l’histoire de la maison hantée ? Monette ne t’en a
jamais parlé ?
- Non, elle disait que
c’était des histoires anciennes, à dormir debout !
- Tu sais, chacun raconte
la sienne ! Il paraît que même la nuit et aussi le jour, il y aurait du
bruit dans la maison. Un
car de touristes s’y serait arrêté pour pique-niquer, dans le grand pré, ils
ont quitté les lieux vite fait. Un tintamarre assourdissant avec des plaintes
effroyables sortait de ces murs. Ils ont préféré s’installer ailleurs.
- Mais tu ne me dis
toujours pas à qui était cette demeure.
- Je ne sais pas moi ;
c’était autrefois, il y a très longtemps. ‘Ils’ n’étaient pas d’ici. ‘Ils’ ont
déserté leur pays, pourchassés pour une affaire de politique. ‘Ils’ ne
sortaient guère que le dimanche pour se rendre à l’église. Puis on ne ‘les’ vit
plus.
- Etaient-ils
nombreux ?
- Un couple, le monsieur
faisait du cheval parfois à une allure folle, les gens disaient qu’il voulait
se tuer !
- Quelle horreur !
Les vaches à l’étable
meuglaient, et Gilberte, que tout le monde appelait Berthe, se retourna,
- il faut que je sorte mes
vaches, elles s’impatientent.
- Tu sais ! Une fois
j’ai bien vu des gens à la sortie de l’église se transformer en poules et coq,
continua Berthe, mais je ne l’ai dit à personne, pourtant c’était de bon matin
et je n’avais pas bu ! Alors ! Courage !
- A bientôt !
Rose lui mit la monnaie
dans ses mains abîmées par le labeur, et s’en alla. Stupéfaite, elle n’en
revenait pas de cette histoire de coq et poules !
Elle comprit qu’elle n’en
tirerait rien de plus, sur le phénomène de la Grande Hothe.
Le soir dans la maison de
Monette, dit « Barbot » elle imagina sa grand-mère descendante de
l’étranger ou son arrière-grand-mère amoureuse de l’étranger !
Pourtant son nom sonnait
bien français ! Dépitée au plus haut point, elle se rendit chez Etienne.
Il produisait de belles pommes et cultivait des céréales. Les journées étaient
longues et Etienne prenait le frais avec ses parents, sous le grand chêne devant
la maison
- Voici la plus belle rose
s’écria son père.
- Les roses de mai sont les
plus belles, répondit celle-ci. Etienne offrit une chaise à Rose.
- Alors ? Toujours au
pays ? Dommage de partir à Paris par ce beau temps !
- Il le faudra bien
pourtant, répondit Rose.
- Reste souper avec nous,
sais-tu qu’il pousse des champignons ? reprit la maman d’Etienne.
- Merci, mais je n’ai pas
du tout la tête à la cueillette, dit Rose. En effet elle avait soudain peur de
ce qu’elle pouvait apprendre de ses ancêtres. Aussi préféra-t-elle en rester
là. Ils discutèrent de tout et de rien pour finir la soirée.
Il lui fallut bien rentrer
à Paris pour continuer son travail. Un soir elle relut les papiers que le
Notaire lui avait donnés. Quelle ne fut sa stupéfaction de s’apercevoir qu’elle
n’héritait pas seulement de la maison hantée mais aussi d’une centaine
d’hectares de terres ! Elle n’avait pas bien écouté ce que le Notaire disait
tant elle avait été peinée par la perte de Monette.
Il était mentionné dans
l’acte, vingt hectares de vignes et le reste de prés et de céréales et deux
hectares de bois.
Celles-ci étaient
travaillées par un fermier du nom de Ciétéso. Elle le connaissait à peine de
vue pour l’avoir rencontré au village et connaissait peu de choses de lui. Il était
d’origine espagnole.
Le retour à Paris lui fut
pénible, la route était longue, et de quitter sa petite maison lui fit mal au
cœur.
Juin arriva avec de fortes
chaleurs accompagnées d’orages. Les grêlons étaient si gros qu’ils les
ramassaient à la pelle à Paris.
- Pourvu que ce ne soit pas
pareil chez moi ! Déclara Rose à son amie. Comme il était bon de pouvoir
dire : Chez moi ! Rose faisait partie des propriétaires maintenant.
Il lui tardait d’aller voir ses terres. Elle n’avait pas osé et cela était si
soudain qu’elle croyait rêver ! Il lui fallait encore payer les frais de
notaire, elle verrait cela pour le week-end de Pentecôte, elle l’avait prolongé
de quelques jours.
Il est vrai qu’un pincement
au cœur se produisait dés qu’elle voyait la façade de (Barbot) avec ses volets
fermés. Jamais plus elle ne verrait Monette l’attendant devant la porte, avec
son tablier bleu et ses cheveux gris. Ce retour lui procurait une immense joie,
comme si elle réintégrait le ventre de sa mère. ‘Un retour vers ses ancêtres.’
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